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vendredi 11 avril 2025

La fenêtre d’Overton et la gestion de l’opinion publique

 La fenêtre d’Overton et la gestion de l’opinion publique 

Bernard CONTE, le 11 avril 2025 


 

Le système d’exploitation, de domination et de contrôle, capitaliste depuis trois siècles, pilote le façonnage des structures de la société avec pour objectif principal le profit à tout prix. L’ajustement structurel prépare la mise en œuvre de nouvelles versions du système plus lucratives mais qui bouleversent les équilibres sociétaux.

Dans ces conditions, l’ajustement doit impérativement s’appuyer sur l’opinion publique pour obtenir, au moins, un pseudo consentement. En effet, face au grand nombre, l’élite ne pèserait pas lourd en cas d’opposition catégorique. Pour ce faire, le système manipule la fenêtre d’Overton[1] qui balise les contours de la pensée dominante[2]. Cette fenêtre devient un catalyseur de l’ajustement structurel mis en place par le système.

La fenêtre d’Overton

Dans les années 1990, le juriste et lobbyiste américain Joseph P. Overton utilise le mot « fenêtre » pour désigner le fait que les idées qui sont jugées acceptables par la population sont toutes situées à l’intérieur d’un périmètre précis.

À l’intérieur de ladite fenêtre se trouvent les idées perçues comme des propositions politiquement et socialement légitimes. À l’extérieur, les idées sont réputées extrêmes et donc rejetées par une grande partie de la population. 


 Quand s’exprime une opinion située à l’intérieur de la fenêtre, elle est admise, comprise et éventuellement adoptée par les politiques publiques. Par contre, si l’opinion franchit la limite du raisonnable, elle se trouve exclue du débat, voire pénalement condamnée, car trop radicale, impensable, voire complotiste.

Cela signifie que l’éventail de l’échiquier politique acceptable, susceptible de gouverner, est borné. En démocratie, les idées plus radicales, plus extrêmes, situées en-dehors de la fenêtre sont notamment instrumentalisées, à travers les sentiments qu’elles suscitent, pour canaliser les votes des électeurs vers les candidats choisis par le système. Lesdits sentiments sont naturellement exacerbés par les médias aux ordres.

Les politiques publiques s’inscrivent à l’intérieur de la fenêtre qui est déterminée par une structure sociale et par un état de l’opinion donnés. Cela signifie que la fenêtre d’Overton n’est pas statique.

La fenêtre se déplace

Elle évolue au fil du temps, sous l’influence de divers facteurs tels que les évènements historiques, les changements sociaux et culturels, les « avancées » scientifiques et technologiques, les mouvements politiques, l’action des groupes d’intérêt et des médias… Une modification des déterminants de la fenêtre engendre son déplacement. Mais il apparaît que le catalyseur de la translation est l’opinion publique qui autorise le mouvement. En effet, l’ajustement des structures doit être accepté par une bonne partie de la population sauf dans le cadre d’une dictature.

 La fenêtre d’Overton se déplace parallèlement à l’évolution de l’opinion qui conditionne la structure de la société. Dans le cadre de sa stratégie, le système peut, par divers moyens, manœuvrer l’opinion publique afin de déplacer la fenêtre. Ce faisant, l’ajustement structurel sociétal souhaité sera accepté, voire réclamé par une partie croissante de la population. La manipulation de l’opinion passe par l’instrumentalisation des agents du système ainsi que des idiots utiles plus ou moins endoctrinés.

 La superstructure[5] est mobilisée pour exposer progressivement l’opinion publique à des idées jusque-là considérées comme extrêmes, c’est-à-dire situées au-delà du cadre de la fenêtre d’Overton. De la sorte, lesdites idées deviennent acceptables, voire désirables pour une part grandissante de la population. Diverses techniques peuvent être utilisées :

 ·       « La normalisation par contraste qui consiste à rendre une idée extrême plus acceptable en la comparant à une idée encore plus radicale. Par exemple, en défendant l’idée d’expulser tous les étrangers du pays, y compris les personnes ayant acquis la nationalité, il est possible de rendre plus recevable la proposition de fermeture des frontières du pays à tous les immigrants. Comparée à l’expulsion, la fermeture des frontières, bien que toujours restrictive, apparaît comme un compromis plus acceptable.

·       Le « pied dans la porte » : commence par une petite demande, facile à accepter, pour ensuite introduire une demande plus importante. Ainsi, un représentant d’une association caritative peut vous inciter à signer une pétition pour soutenir une cause. Une fois que vous avez signé, il sera plus facile pour lui de vous réclamer un don d’argent

·       La « porte au nez » : débuter par une demande excessive, qui sera logiquement refusée, puis poursuivre par une demande plus raisonnable. Par exemple, le gouvernement décide d’augmenter les impôts de 50% et, devant le mécontentement suscité, réduit de moitié l’augmentation en présentant cette mesure comme une victoire du peuple.

·       L’utilisation des médias : Les médias jouent un rôle crucial dans la manipulation de la fenêtre d’Overton en donnant une large couverture à certaines idées tout en passant sous silence ou en diabolisant d’autres. Ils peuvent également présenter des idées radicales comme étant des opinions minoritaires, tout en les rendant progressivement acceptables.

·       Le rôle des influenceurs : Les influenceurs sur les réseaux sociaux peuvent également contribuer à déplacer la fenêtre d’Overton en y faisant entrer des comportements ou des idées qui étaient auparavant considérés comme marginaux. »[6]

 Lors de son déplacement, des idées, des opinions, des comportements, des politiques publiques… entrent dans la fenêtre tandis que d’autres peuvent en sortir.

 

Exemples de mouvements dans les composantes de la fenêtre

 L’esclavage : pendant des siècles, l’esclavage était une pratique courante, acceptée dans de nombreuses sociétés. Aujourd’hui, il est considéré comme un crime contre l’humanité et l’Histoire focalise sur la traite des noirs, surtout atlantique[7]. L’abolition de l’esclavage est souvent présentée comme une victoire des défenseurs des droits de l’homme et de la philosophie des Lumières dont l’action héroïque aurait bouté l’esclavagisme hors de la fenêtre d’Overton. À contrario, l’abolition de l’esclavage apparaît à certains comme un simple ajustement de structure en vue de réduire les coûts d’exploitation pour rehausser les profits[8].

 Le mariage homosexuel : Avant d’être accepté, le mariage homosexuel était considéré comme une idée radicale. Au fil du temps, grâce à l’action de militants des droits humains, de l’égalité, de la lutte contre les discriminations…, des manifestations du type Gay Pride et à une visibilité croissante des couples homosexuels dans les médias, cette pratique a progressivement été normalisée.

 Le cannabis : Auparavant considéré comme une drogue dangereuse en raison des effets physiques et psychiques avérés, le cannabis est aujourd’hui de plus en plus accepté pour ses usages médicaux et récréatifs dans de nombreux pays.

 Le réchauffement climatique : Dans les années 1970, des scientifiques ont envisagé la possibilité de la venue d’une nouvelle ère glaciaire. Cette idée était principalement basée sur une tendance au refroidissement observée dans les températures mondiales depuis les années 1940, ainsi que sur des cycles naturels de refroidissement et de réchauffement de la Terre. Par la suite est apparue la thèse opposée du réchauffement climatique d’origine anthropique. Cette thèse est entrée dans la fenêtre d’Overton grâce à la mobilisation de nombreux « experts » (GIEC, Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) et par l’action de multiples institutions publiques et privées, bénéficiant de financements très importants. Parmi les intervenants se trouvent : des organismes publics (CNRS (Centre national de la recherche scientifique), ADEME (Agence de la transition écologique), Météo-France), des organisations non gouvernementales (Fondation Nicolas Hulot, Greenpeace, WWF), des Fondations (Fondation Bill & Melinda Gates, Fondation David et Lucile Packard), des entreprises (EDF, Total)… L’entrée du réchauffement dans la fenêtre s’est traduite par la mise en œuvre d’un ensemble de politiques, essentiellement restrictives, afin de « sauver la planète » …

 Le droit de vote des femmes : Au début du XXème siècle, l’idée que les femmes puissent voter était considérée comme radicale, voire impensable, dans de nombreuses sociétés. Les arguments contre le droit de vote des femmes étaient souvent fondés sur des stéréotypes de genre, des considérations religieuses ou des préoccupations concernant l’ordre social. Cette idée se situait en dehors de la fenêtre d’Overton de l’époque. Peu à peu, l’action des mouvements féministes, des suffragettes, d’intellectuels, de personnalités politiques… a introduit la question dans le débat public. Ainsi, les arguments en faveur du vote des femmes ont été largement diffusés notamment par les médias. Des pays comme la Nouvelle-Zélande (1893), l’Australie (1902) et le Royaume-Uni (1918, avec des restrictions) ont été parmi les premiers à accorder le droit de vote aux femmes[9]. Après la Seconde Guerre mondiale, de nombreux pays ont finalement adopté le suffrage universel, reconnaissant le droit de vote des femmes sans restriction. La France, par exemple, a accordé ce droit aux femmes en 1944.

 Le déplacement de la fenêtre d’Overton est généralement un processus lent et progressif. Pour qu’une idée considérée comme radicale devienne acceptable, voire populaire, il faut des années ou même des décennies car cela implique souvent la modification des us et coutumes ancrées dans la mémoire collective.

 Néanmoins, la fenêtre peut connaître un déplacement plus rapide à l’occasion d’évènements majeurs. Les conflits armés, les crises aiguës de diverses formes sont susceptibles d’accélérer le mouvement. Ainsi la « pandémie » de COVID-19 a entraîné des changements radicaux dans les modes de vie et les interactions sociales, ce qui a conduit à une acceptation forcée de certaines idées qui étaient auparavant considérées comme inacceptables, telles que la vaccination de masse quasi-obligatoire, le port du masque ou le confinement.

 Au total, le déplacement de la fenêtre d’Overton résulte d’un processus complexe qui combine des stratégies de communication, d’injonction, de mobilisation et de persévérance. La maîtrise de ces stratégies permet d’agir sur le débat public et de faire évoluer les idées.

 Ainsi, le déplacement de la fenêtre peut-il être piloté par le système pour atteindre ses objectifs. 

 


[1] Encore dénommée « fenêtre de discours » Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fen%C3%AAtre_d%27Overton

[2] Pensée dominante que le système tente de transformer en pensée unique.

[3] Encore dénommée « fenêtre de discours » Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fen%C3%AAtre_d%27Overton

[4] Pensée dominante que le système tente de transformer en pensée unique.

[5] Selon Karl Marx, « la superstructure correspond à l’ensemble des institutions, des idées, des valeurs et des normes qui sont enracinés » dans une structure économique particulière. Elle comprend notamment l’État, la religion, la culture, l’éducation, etc. ». https://gemini.google.com/app/6ec269c71442d701 Il est possible d’ajouter : les médias, les réseaux sociaux, les « scientifiques », les « experts » …

[7] L’Histoire officielle passe sous silence ignore d’une part la traite des blancs par les barbaresques maghrébins ainsi que la traite continentale qui a concerné un effectif plus nombreux que la traite atlantique. Voir par exemple : Mise à l'heure des Pendules : L’Esclavage Des Européens Blancs a Précédé celui Des Africains, vidéo : https://www.bitchute.com/video/u0isVYD5RYu3

[8] Voir par exemple : Bernard Conte, « L’économie et la fin de l’esclavage », https://lamenparle.hypotheses.org/995 le  11/02/2019

 

[9] Bijon, Béatrice, et Claire Delahaye, éditeurs. Suffragistes et suffragettes. Traduit par Béatrice Bijon et al., ENS Éditions, 2017, https://doi.org/10.4000/books.enseditions.8022. Revue française de science

politique

Albistur, Maïté, et Armogathe, Daniel, (dir) Histoire du féminisme en France du Moyen Age à nos jours, Des femmes – Antoinette Fouque, 1977,

Rabaut, Jean, Histoire des feminismes français, Stock, Paris, 1978.

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