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lundi 22 juillet 2024

Bientôt chez nous : Le consensus de Washington

 Au début des années 1980, la crise de la dette du Tiers-Monde  a été déclenchée par la hausse des taux d'intérêt décidée par Paul Volker, alors Président de la FED (Réserve fédérale). Le système d'exploitation de domination et de contrôle a instrumentalisé ladite crise pour imposer des politiques néolibérales censées "redresser" la situation. Synthétisées sous l'appellation de "consensus de Washington", elles ont en réalité conduit à l'imposition de la mondialisation, au pillage des rentes et à l'appauvrissement des populations.

A l'instar de la Grèce, la France actuellement surendettée est menacée de subir la même thérapie. 

Le FMI et les Etats-Unis, désignés responsables par les populations d’Amérique latine des désagréments sociaux

Le « consensus de Washington »

par Bernard Conte (2005).

courriel : bd.conte@gmail.com

 

La fin de la décennie 1970 a connu un changement d’orthodoxie concernant la pensée économique dominante relative au développement[1]. En effet, le consensus structuraliste issu des années 1950 (et néo-keynésien dans les pays industrialisés) s’est dissous, devant la double remise en question des théoriciens néoclassiques et des néomarxistes.

L’occurrence de la crise de la dette au début des années 1980 a plongé les pays du Sud dans les programmes d’ajustement structurel (PAS) menés sous l’égide du FMI et de la Banque mondiale[2]. Les modèles théoriques sous-tendant l’ajustement se fondaient sur l’hypothèse « qu’au commencement il y avait le marché »[3] justifiant ainsi un train de mesures ultra-libérales.

A la fin des années 1980, l’éclatement soudain du bloc soviétique a entraîné le rejet des idées socialistes ainsi que de la planification centralisée. Cette situation a permis de faire entériner, sous la pression des Etats-Unis désormais seule puissance mondiale, l’approche néoclassique sous la forme du « consensus de Washington ».

            Au début des années 1990, John Williamson a donné son interprétation du Consensus de Washington à travers dix “commandements”[4] qui visent essentiellement la libéralisation, la dérégulation et la privatisation :  

 

  1. La discipline budgétaire : le déficit budgétaire doit rester modeste (représenter une faible part du PNB) car des déficits trop importants engendrent l’inflation et la fuite des capitaux.
  2. La réorientation de la dépense publique : redéployer la dépense des secteurs politiquement sensibles (clientélisme) vers les secteurs éducatif, la santé de base, les infrastructures…
  3. La réforme fiscale : élargir l’assiette de la fiscalité et modérer les taux marginaux.
  4. La libéralisation financière, conduisant notamment à la détermination des taux d’intérêt par le marché.
  5. L’adoption d’un taux de change unique et compétitif susceptible de générer des excédents commerciaux par la croissance des exportations non-traditionnelles.
  6. La libéralisation des échanges : abaisser les tarifs douaniers et réduire les barrières non-tarifaires.
  7. L’élimination des barrières à l’entrée des investissements directs étrangers et le renforcement de l’attractivité du territoire national.
  8. La privatisation des entreprises publiques
  9. La dérégulation : supprimer les barrières à l’entrée de nouvelles entreprises sur le marché national et éliminer toute entrave à la concurrence.
  10. Les droits de propriété : promouvoir et garantir le droit de propriété.

Ces dix préceptes constituent le fondement de la première génération de réformes des PAS menés sous l’égide du FMI et de la Banque Mondiale. Il est à noter que le consensus de Washington présente un caractère universel en ce sens qu’il est applicable à n’importe quel pays capitaliste. Il nie toute spécificité économique, politique ou sociale des pays du Sud.

Le consensus de Washington apparaît comme l’émanation directe de la théorie néoclassique qui postule que les problèmes relatifs au développement doivent être approchés à deux niveaux. D’une part, il convient de libéraliser l’économie et de privatiser l’activité économique à grande échelle. Cette démarche permet une meilleure allocation et une utilisation plus efficace des ressources. Dans ce contexte, l’Etat doit procéder à la dérégulation de l’économie et réduire au maximum son intervention. D’autre part, l’activité économique ne doit pas être entravée par des distorsions dans les conditions macroéconomiques. Cela implique une réduction des déficits publics et une politique monétaire aussi neutre que possible.

La mise en œuvre correcte des dix commandements devrait donner libre cours aux forces du marché, seules susceptibles d’engendrer la croissance et par là-même le développement.

Ainsi, la seule issue à la crise passe par le consensus de Washington qui est présenté comme la vérité économique objective.



[1] Voir sur le site : La contre révolution néolibérale. nota : à mon départ à la retraite l'Université a fermé mon site Internet.

[2] Voir sur le site : Les origines de la crise de la dette. nota : idem

[3] Voir sur le site : Le modèle simplifié du FMI. Citation : Dani Rodrik, « Development strategies for the next century », Harvard University. The first draft of this paper was presented at the conference on "Developing Economies in the 21st Century: The Challenges to Globalization," organized by the Institute of Developing Economies (IDE), JETRO, in Chiba, Japan, January 26-27, 2000.

[4] Williamson, John. (1990). “What Washington Means by Policy Reform.” In John Williamson, ed., Latin American Adjustment: How Much Has Happened? Washington, D.C.: Institute for International Economics. Williamson, John. (2000),  “What Should the World Bank Think about the Washington Consensus?”, The World Bank Research Observer, vol. 15, no. 2 (August 2000), pp. 251–64.

lundi 1 juillet 2024

Wokisme et obscurantisme

Au cours des deux dernières décennies, deux ensembles politiques sont devenus très influents dans les sociétés occidentales : le « déconstructionnisme » (ou « progressisme » ou, dernièrement, « wokisme »), issu de diverses fractions d’extrême gauche, et le « fondamentalisme » (ou « obscurantisme », « communautarisme » ou néo-« tra­ditionalisme »), véhiculé essentiellement par des populations d’origine immigrée opérant un retour identitaire. Ces deux ensembles ont en commun la reprise de réflexes et de mécanismes proto-totalitaires identifiés, mais leur articulation reste largement impensée.

Les nébuleuses progressistes et les galaxies obscurantistes

Plutôt que deux mouvements circonscrits, il s’agit de vastes ensembles, tantôt diffus tantôt structurés, à replacer dans deux dynamiques distinctes visant des objectifs différents.

Le « déconstructionnisme » cherche passionnément à « déconstruire », c’est-à-dire discréditer, délégitimer et détruire, tantôt ou simultanément, la différence sexuelle (néo-féminismes), les pratiques alimentaires (végans), le mode de vie (écologistes « radicaux »), l’enracinement (militants humanitaires), l’organisation sociale dans sa globalité (néo-gauchistes), la totalité des savoirs humains (les «  studies  »), etc. De son côté, le « fondamentalisme » cherche à imposer sa sécession religieuse (islamisme ou néo-évangélisme), son séparatisme ethnique (communautarisme et sécessionnisme), sa hiérarchie raciale (racialisme), son ordre moral (néo-sexisme), etc.

Ces deux grandes tendances de moins en moins minoritaires – les premiers dans les institutions médiatico-politiques, les seconds dans les métropoles et leurs couronnes urbaines – semblent s’opposer politique­ment ; le « déconstructionnisme » étant une résurgence de postures progressistes d’extrême gauche, le « fondamen­talisme » dans son conservatisme caricatural incarnant une extrême droite totalement décomplexée. Mais on les voit pourtant s’hybrider de manière spectaculaire dans l’islamo-gauchisme, l’indigénisme, l’insurrectionnalisme, l’écologie décoloniale, le néo-féminisme ou le sans-frontiérisme.

Prise en tenaille

Cette convergence apparemment contre-nature n’est ni fortuite ni tactique : son ciment est une haine viscérale des sociétés occidentales.

Elle forme une véritable tenaille destructrice : le « déconstructionnisme » cherche à détruire de l’intérieur les fondements de nos sociétés contemporaines sans même chercher à formuler une alternative crédible tandis que le « fondamentalisme » impose, d’un extérieur revendiqué, des valeurs exogènes et des (pseudo)-principes tradition­nels sans pouvoir – ni même essayer – de réfuter ceux des cultures d’accueil ; le premier, élitiste et avant-gardiste, déconstruit d’en haut, le second, populaire et diffus, refonde à partir du bas pour miner les sociétés occidentales ; le post-modernisme de celui-ci s’articule avec le pré-modernisme de celui-là contre les acquis de la modernité ; le ver­nis politico-intellectuel de l’un et l’ancrage populaire de l’autre forment illusion dans la perspective commune d’en finir avec les principes des Lumières, les acquis du monde moderne, et la spécificité du projet d’autonomie de la ci­vilisation occidentale.

Détestation des fondements démocratiques de l’Occident

Ce qui est honni dans cet Occident n’est pas, très précisément, ce qu’il se reproche lui-même sans cesse depuis son apparition mais, tout au contraire, son principe même d’auto-institution, la capacité d’auto-critique et d’auto-trans­formation d’une société.

« Déconstructionnisme » comme « fondamentalisme » sont de ce point de vue anti-démocratiques : le premier rend impossible toute délibération rationnelle (ou simplement raisonnable), le second brandit une parole révélée ou un état de fait indiscutable. Cela se retrouve dans leurs modes d’action (censures, interdictions, intimidations, me­naces, violences) comme dans leur stratégie (mépris sans bornes pour les « petites gens » simplement dubitatifs face à leurs délires, particulièrement s’ils sont occidentaux ou occidentalisés).

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lundi 24 juin 2024

France : le nouveau Front populaire, un air de Sirtaki

 par Bernard Conte le 24/06/2024

 


En 2015, lorsque Alexis Tsipras est devenu premier ministre de la Grèce, cela a suscité des espoirs dans la sphère gauchienne dans le monde entier. A l’époque, une radio m’avait interviewé et j’avais déclaré mon scepticisme à l’égard de ces espoirs. L’interview n’a jamais été diffusée.

Déjà en 2010, j’avais écrit : « la Grèce préfigure la Tiers-Mondialisation de l’Europe ». Dans cet article, j’expliquais qu’à l’instar du Tiers-Monde après la crise de la dette de 1982 provoquée par l’envolée des taux d’intérêt de la FED de Paul Volker, la Grèce surendettée allait tomber sous les fourches caudines des institutions néolibérales du système : FMI, Banque Mondiale, dispositifs européens…

En 2015, Tsipras devenu Premier ministre, n’a pu tenir ses promesses car ses marges de manœuvre étaient fortement réduites par les exigences des préteurs. En effet, pour rembourser la dette, il fallait appliquer les commandements du Consensus de Washington, c’est-à-dire dégager des ressources.

 Cette démarche passe par la compression des dépenses et l’augmentation des recettes de l’État.

 L’action sur la dépense publique implique la réduction :

*      de la masse salariale de la fonction publique (baisse des effectifs et/ou du niveau des traitements)

*      des autres dépenses de fonctionnement (éducation, social...)

*      des subventions (services publics, associations...)

*      des investissements publics (infrastructures...)

 

L’augmentation des recettes réclame :

*      l’alourdissement de la fiscalité

*      la privatisation de services publics rentables (eau, électricité...)

Comme les bailleurs de fonds ne sont pas des philanthropes, à l’instar de Syriza, le Front populaire (avec une dette publique de 3100 milliards) ne sera pas en mesure de mettre en œuvre son programme et ce,  d’autant plus en restant dans le cadre du carcan européen.

Il ne restera plus au Front au pouvoir que de danser le Sirtaki.

A lire également, La Tiers-Mondialisation de la planète.