La fenêtre d’Overton et la gestion de l’opinion publique
Bernard CONTE, le 11 avril 2025
Le système d’exploitation, de
domination et de contrôle, capitaliste depuis trois siècles, pilote le
façonnage des structures de la société avec pour objectif principal le profit à
tout prix. L’ajustement structurel prépare la mise en œuvre de nouvelles
versions du système plus lucratives mais qui bouleversent les équilibres
sociétaux.
Dans ces conditions, l’ajustement doit
impérativement s’appuyer sur l’opinion publique pour obtenir, au moins, un
pseudo consentement. En effet, face au grand nombre, l’élite ne pèserait pas
lourd en cas d’opposition catégorique. Pour ce faire, le système manipule la
fenêtre d’Overton
qui balise les contours de la pensée dominante. Cette
fenêtre devient un catalyseur de l’ajustement structurel mis en place par le
système.
La fenêtre d’Overton
Dans les années 1990, le juriste
et lobbyiste américain Joseph P. Overton utilise le mot « fenêtre »
pour désigner le fait que les idées qui sont jugées acceptables par la
population sont toutes situées à l’intérieur d’un périmètre précis.
À l’intérieur de ladite fenêtre
se trouvent les idées perçues comme des propositions politiquement et
socialement légitimes. À l’extérieur, les idées sont réputées extrêmes et donc
rejetées par une grande partie de la population.
Quand s’exprime une opinion située
à l’intérieur de la fenêtre, elle est admise, comprise et éventuellement
adoptée par les politiques publiques. Par contre, si l’opinion franchit la limite
du raisonnable, elle se trouve exclue du débat, voire pénalement condamnée, car
trop radicale, impensable, voire complotiste.
Cela signifie que l’éventail de
l’échiquier politique acceptable, susceptible de gouverner, est borné. En
démocratie, les idées plus radicales, plus extrêmes, situées en-dehors de la
fenêtre sont notamment instrumentalisées, à travers les sentiments qu’elles
suscitent, pour canaliser les votes des électeurs vers les candidats choisis
par le système. Lesdits sentiments sont naturellement exacerbés par les médias
aux ordres.
Les politiques publiques
s’inscrivent à l’intérieur de la fenêtre qui est déterminée par une structure
sociale et par un état de l’opinion donnés. Cela signifie que la fenêtre
d’Overton n’est pas statique.
La fenêtre se déplace
Elle évolue au fil du temps,
sous l’influence de divers facteurs tels que les évènements historiques, les
changements sociaux et culturels, les « avancées » scientifiques et technologiques,
les mouvements politiques, l’action des groupes d’intérêt et des médias… Une
modification des déterminants de la fenêtre engendre son déplacement. Mais il
apparaît que le catalyseur de la translation est l’opinion publique qui
autorise le mouvement. En effet, l’ajustement des structures doit être accepté
par une bonne partie de la population sauf dans le cadre d’une dictature.
La fenêtre d’Overton se
déplace parallèlement à l’évolution de l’opinion qui conditionne la structure
de la société. Dans le cadre de sa stratégie, le système peut, par divers
moyens, manœuvrer l’opinion publique afin de déplacer la fenêtre. Ce faisant,
l’ajustement structurel sociétal souhaité sera accepté, voire réclamé par une
partie croissante de la population. La manipulation de l’opinion passe par
l’instrumentalisation des agents du système ainsi que des idiots utiles plus ou
moins endoctrinés.
La superstructure est
mobilisée pour exposer progressivement l’opinion publique à des idées jusque-là
considérées comme extrêmes, c’est-à-dire situées au-delà du cadre de la fenêtre
d’Overton. De la sorte, lesdites idées deviennent acceptables, voire désirables
pour une part grandissante de la population. Diverses techniques peuvent être
utilisées :
·
« La normalisation par contraste qui
consiste à rendre une idée extrême plus acceptable en la comparant à une idée
encore plus radicale. Par exemple, en défendant l’idée d’expulser tous les
étrangers du pays, y compris les personnes ayant acquis la nationalité, il est
possible de rendre plus recevable la proposition de fermeture des frontières du
pays à tous les immigrants. Comparée à l’expulsion, la fermeture des
frontières, bien que toujours restrictive, apparaît comme un compromis plus
acceptable.
·
Le « pied dans la porte » : commence
par une petite demande, facile à accepter, pour ensuite introduire une demande
plus importante. Ainsi, un représentant d’une association caritative peut vous inciter
à signer une pétition pour soutenir une cause. Une fois que vous avez signé, il
sera plus facile pour lui de vous réclamer un don d’argent
·
La « porte au nez » : débuter par une
demande excessive, qui sera logiquement refusée, puis poursuivre par une
demande plus raisonnable. Par exemple, le gouvernement décide d’augmenter les
impôts de 50% et, devant le mécontentement suscité, réduit de moitié
l’augmentation en présentant cette mesure comme une victoire du peuple.
·
L’utilisation des médias : Les médias jouent un
rôle crucial dans la manipulation de la fenêtre d’Overton en donnant une large
couverture à certaines idées tout en passant sous silence ou en diabolisant d’autres.
Ils peuvent également présenter des idées radicales comme étant des opinions
minoritaires, tout en les rendant progressivement acceptables.
·
Le rôle des influenceurs : Les influenceurs sur
les réseaux sociaux peuvent également contribuer à déplacer la fenêtre d’Overton
en y faisant entrer des comportements ou des idées qui étaient auparavant
considérés comme marginaux. »
Lors de son déplacement, des idées,
des opinions, des comportements, des politiques publiques… entrent dans la
fenêtre tandis que d’autres peuvent en sortir.
Exemples de mouvements dans
les composantes de la fenêtre
L’esclavage : pendant
des siècles, l’esclavage était une pratique courante, acceptée dans de
nombreuses sociétés. Aujourd’hui, il est considéré comme un crime contre l’humanité
et l’Histoire focalise sur la traite des noirs, surtout atlantique.
L’abolition de l’esclavage est souvent présentée comme une victoire des
défenseurs des droits de l’homme et de la philosophie des Lumières dont
l’action héroïque aurait bouté l’esclavagisme hors de la fenêtre d’Overton. À
contrario, l’abolition de l’esclavage apparaît à certains comme un simple
ajustement de structure en vue de réduire les coûts d’exploitation pour
rehausser les profits.
Le mariage homosexuel :
Avant d’être accepté, le mariage homosexuel était considéré comme une idée
radicale. Au fil du temps, grâce à l’action de militants des droits humains, de
l’égalité, de la lutte contre les discriminations…, des manifestations du type
Gay Pride et à une visibilité croissante des couples homosexuels dans les
médias, cette pratique a progressivement été normalisée.
Le cannabis :
Auparavant considéré comme une drogue dangereuse en raison des effets physiques
et psychiques avérés, le cannabis est aujourd’hui de plus en plus accepté pour
ses usages médicaux et récréatifs dans de nombreux pays.
Le réchauffement climatique :
Dans les années 1970, des scientifiques ont envisagé la possibilité de la venue
d’une nouvelle ère glaciaire. Cette idée était principalement basée sur une
tendance au refroidissement observée dans les températures mondiales depuis les
années 1940, ainsi que sur des cycles naturels de refroidissement et de
réchauffement de la Terre. Par la suite est apparue la thèse opposée du
réchauffement climatique d’origine anthropique. Cette thèse est entrée dans la
fenêtre d’Overton grâce à la mobilisation de nombreux « experts »
(GIEC, Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) et par
l’action de multiples institutions publiques et privées, bénéficiant de
financements très importants. Parmi les intervenants se trouvent : des organismes
publics (CNRS (Centre national de la recherche scientifique), ADEME (Agence de
la transition écologique), Météo-France), des organisations non
gouvernementales (Fondation Nicolas Hulot, Greenpeace, WWF), des Fondations (Fondation
Bill & Melinda Gates, Fondation David et Lucile Packard), des entreprises (EDF,
Total)… L’entrée du réchauffement dans la fenêtre s’est traduite par la mise en
œuvre d’un ensemble de politiques, essentiellement restrictives, afin de
« sauver la planète » …
Le droit de vote des femmes : Au début du XXème siècle, l’idée que les femmes puissent voter était
considérée comme radicale, voire impensable, dans de nombreuses sociétés. Les
arguments contre le droit de vote des femmes étaient souvent fondés sur des
stéréotypes de genre, des considérations religieuses ou des préoccupations
concernant l’ordre social. Cette idée se situait en dehors de la fenêtre d’Overton
de l’époque. Peu à peu, l’action des mouvements féministes, des suffragettes,
d’intellectuels, de personnalités politiques… a introduit la question dans le
débat public. Ainsi, les arguments en faveur du vote des femmes ont été
largement diffusés notamment par les médias. Des pays comme la
Nouvelle-Zélande (1893), l’Australie (1902) et le Royaume-Uni (1918, avec des
restrictions) ont été parmi les premiers à accorder le droit de vote aux femmes. Après
la Seconde Guerre mondiale, de nombreux pays ont finalement adopté le suffrage
universel, reconnaissant le droit de vote des femmes sans restriction. La
France, par exemple, a accordé ce droit aux femmes en 1944.
Le déplacement de la fenêtre
d’Overton est généralement un processus lent et progressif. Pour qu’une idée
considérée comme radicale devienne acceptable, voire populaire, il faut des
années ou même des décennies car cela implique souvent la modification des us
et coutumes ancrées dans la mémoire collective.
Néanmoins, la fenêtre peut
connaître un déplacement plus rapide à l’occasion d’évènements majeurs. Les
conflits armés, les crises aiguës de diverses formes sont susceptibles
d’accélérer le mouvement. Ainsi la « pandémie » de COVID-19 a
entraîné des changements radicaux dans les modes de vie et les interactions
sociales, ce qui a conduit à une acceptation forcée de certaines idées qui
étaient auparavant considérées comme inacceptables, telles que la vaccination
de masse quasi-obligatoire, le port du masque ou le confinement.
Au total, le déplacement de la
fenêtre d’Overton résulte d’un processus complexe qui combine des stratégies de
communication, d’injonction, de mobilisation et de persévérance. La maîtrise de
ces stratégies permet d’agir sur le débat public et de faire évoluer les idées.
Ainsi, le déplacement de la
fenêtre peut-il être piloté par le système pour atteindre ses objectifs.