Pages

dimanche 11 février 2024

L’aide médicale de l’État, un dispositif au service des "passagers clandestins" ?

 par Bernard CONTE (février 2024)

En économie, le passager clandestin[1] (resquilleur, free rider) est un individu ou un groupe d’individus qui profite d’un bien ou d’un service collectif sans le payer ou en le sous-payant, alors que le coût est supporté par les autres membres de la collectivité. En France, l’aide médicale de l’État (AME) est un exemple de dispositif qui officialise le comportement de passager clandestin de la part des immigrants illégaux.

 L’aide médicale de l’État

L’aide médicale de l’État[2] (AME) est « un dispositif permettant aux étrangers en situation irrégulière (ESI) de bénéficier d’un accès aux soins pour une durée d’un an (renouvelable), sous conditions de résidence et de ressources[3] ».

 L’AME garantit aux étrangers en situation irrégulière « la prise en charge gratuite de soins médicaux sous deux conditions : la résidence irrégulière continue en France depuis plus de trois mois et des ressources inférieures à un plafond, celui fixé pour l’éligibilité à la complémentaire santé solidaire (809,90 € par mois pour une personne seule depuis avril 2023). Elle ouvre droit, pour les personnes auxquelles le bénéfice de la prestation a été accordé, à l’accès à un panier de soins et de services et à une prise en charge à 100 % avec dispense d’avance de frais[4] ».

 Les conditions « restrictives » de résidence et de ressources peuvent être aisément contournées par le biais du dispositif concernant les « soins urgents ». Par ailleurs, il faut savoir que « les étrangers en situation régulière bénéficient de la protection universelle maladie PUMA[5] (qui a remplacé la couverture maladie universelle, CMU).

 Le dispositif des soins « urgents             

Les conditions restrictives portant sur la résidence et les ressources ne s’appliquent pas. « Si vous avez besoin de soins urgents et que vous résidez en France de façon irrégulière mais que vous ne pouvez pas avoir l’AME (parce que vous résidez depuis moins de trois mois en situation irrégulière ou que vos ressources sont supérieures au plafond), vous pouvez bénéficier d’une prise en charge de vos soins urgents à l’hôpital (hospitalisation ou consultation en établissement de santé). Les demandeurs d’asile venant d’arriver sur le territoire peuvent également bénéficier de la prise en charge des soins urgents, durant le délai de trois mois où ils ne relèvent pas encore de la protection universelle maladie[6] ». En fait, quiconque entre sur le territoire français bénéficie directement et gratuitement des services de santé.

 Néanmoins, il y aurait des restrictions liées à l’urgence des soins. Quels sont les « soins urgents » pris en charge ?

 Officiellement, « il s’agit :

·       des soins dont l’absence mettrait en jeu le pronostic vital ou pourrait conduire à l’altération grave et durable de votre état de santé ou de celui d'un enfant à naître (sachant qu’une simple carie peut entraîner une infection grave, voire généralisée…)

·       des soins destinés à éviter la propagation d’une maladie à l’entourage ou à la collectivité (exemple : la tuberculose)(Covid, grippe…)

·       de tous les soins d’une femme enceinte et d’un nouveau-né : les examens de prévention réalisés pendant et après la grossesse, l'accouchement

·       des interruptions de grossesse (volontaires ou pour motif médical)[7] ».

 Les définitions précédentes sont à large spectre. En fonction de leur interprétation et du contexte, il apparaît que pratiquement toutes les affections deviennent urgentes. Ainsi, un migrant est pratiquement pris en charge dès son arrivée sur le territoire dans la quasi-totalité des cas de figure.

 Les bénéficiaires de l’AME

 Fin 2023, ce dispositif concerne environ 466 000 bénéficiaires contre 316 314 à la fin de 2015 soit une augmentation de 47,3%. « Le terme « bénéficiaires » de l’AME recouvre deux populations : les « assurés » et les ayants-droits. Les « assurés » sont les personnes qui portent directement les droits, les ayants-droits sont leurs enfants (mineurs et potentiellement jusqu’à l’âge de 20 ans), leurs conjoints, partenaires de PACS ou concubins, ainsi qu’une personne majeure « cohabitante » à charge. Les statistiques identifient les bénéficiaires, les « assurés » et les ayants-droits dont les mineurs[8] ».

 « À la fin juin 2023, près de 25% des bénéficiaires de l’AME étaient des mineurs de nationalité étrangère, c’est-à-dire des personnes qui ne sont pas juridiquement des étrangers en situation irrégulière[9] ».

 L’évolution par tranches d’âge des bénéficiaires de l’AME entre la fin 2015 et la mi-2023 révèle des tendances inattendues :

 -         d’une part, la croissance modérée des personnes en âge de travailler de 18 à 59 ans (+23%) ;

 -         d’autre part, la forte augmentation des bénéficiaires mineurs (+ 65%) et des personnes âgées de plus de 60 ans (+ 75%) (tableau 3) ;

-         enfin, en outre-mer, bien que supérieures, les tendances restent similaires, + 105% pour les personnes de 18 à 59 ans ; + 134% pour les mineurs et + 143% pour les plus de 60 ans (tableau 4).

 



À l’instar des tenants de la pensée unique, il faudrait affirmer que les migrants viennent en France principalement pour y travailler. Les chiffres indiquent le contraire. Pourquoi les très jeunes et les vieux viennent-ils de plus en plus nombreux dans notre pays ? Les raisons sont certainement à chercher ailleurs que dans la quête d’un emploi[10].

Il est vrai que la France est généreuse, « l’étendue des soins pris en charge, est notablement plus large que celle assurée dans les autres pays européens pour les étrangers en situation irrégulière[11] ». De plus, l’attrait du territoire se trouve renforcé par de nombreux dispositifs d’aide pécuniaire ou en nature[12]. À ce propos, « sur 10 ans, des subventions aux associations d’aides aux migrants multipliées par 3, contre un nombre de reconduites au frontière divisé par 3[13] ». Ce faible taux d’éloignements, en réduisant le risque d’échec, rend l’immigration illégale plus engageante.

 Dans ce contexte, la théorie du passager clandestin trouve une application évidente notamment à travers la personne âgée migrant en France pour bénéficier des dispositifs de l’État-providence sans aucune participation, passée ou à venir, à son financement.

 Le coût de l’AME

 Selon la Direction de la sécurité sociale (DSS), le coût de l’AME était de 968 millions d’euros en 2022 contre 540 millions d’euros en 2009, c’est-à-dire une augmentation de 79,3%[14]. Pour d’autres, le coût annuel serait de 1,2milliards d’euros[15].

 Les dépenses liées à l’AME augmentent plus vite que les dépenses globales de santé. Le rapporteur Vincent Delahaye estime pour l’année 2023 que le montant des dépenses de l’aide médicale d’État affiche une hausse de 5,4 % alors que la croissance des dépenses de santé[16] n’a été que de 2%[17].

 Le coût croissant de l’AME pose question, d’autant plus que, toutes choses étant égales par ailleurs, la marée migratoire vers la France restera caractérisée par des coefficients élevés. Cette augmentation se trouve confortée par l’évolution de la structure par âge des immigrants. En effet, les catégories de population - les mineurs à court-moyen terme et les personnes âgées de façon permanente – ne sont pas susceptibles de participer aux dépenses de santé à travers leurs cotisations sociales futures. En conséquence, leur prise en charge se déroule à « fonds perdus », ce qui alourdit inexorablement le fardeau des cotisants réels.

 Dans un contexte de crise économique, de déficits publics exagérés, il apparait que la soutenabilité politique de l’AME risque de devenir problématique en dépit du battage médiatique en sa faveur. D’autant plus que l’AME exerce un effet d’éviction, réel et surtout ressenti, sur certaines catégories de population.

 L’effet d’éviction de l’AME

 Les politiques néolibérales de réduction du rôle de l’État, de privatisation, de mise en concurrence des territoires… entraînent la réduction des avantages sociaux, la hausse du chômage… et par la suite, l’extension de la pauvreté. En France, depuis le milieu des années 2000, la pauvreté repart à la hausse.

 « La France compte 5,3 millions de pauvres si l’on fixe le seuil de pauvreté à 50 % du niveau de vie médian (965 €) et 9,1 millions si l’on utilise le seuil de 60 % (1 158 €), selon les données provisoires 2021 (dernière année disponible) de l’Insee. Dans le premier cas, le taux de pauvreté est de 8,3 % et, dans le second, de 14,5 %[18] ».

 La grande majorité de ces pauvres ne sont pas des étrangers en situation irrégulière ou régulière. Ils participent ou ont participé au financement de la protection sociale et de l’État-providence en général. Il est compréhensible qu’un sentiment d’abandon de la part de l’État et d’éviction au profit des migrants se développe parmi eux, même s’il est injustifié.

Entrée libre

Pour une proportion grandissante de la population, l’AME et le dispositif des « soins urgents », c’est entrée libre, services gratuits à gogo avec, en sus, le sourire de la sécurité sociale et l’interdiction d’aborder le sujet sous peine d’ostracisation.

L’ouverture des frontières aux migrants sans contrôle pourrait conduire à de sérieux problèmes comme cela s’est produit notamment en Afrique[19]. La France des droits de l’homme devient-elle la France des droits de l’autre ?



[1] Cf. Mancur Olson, La logique de l’action collective, Paris .Presses Universitaires de France, 1978.

[3] Idem.

[7] Idem. Les italiques sont de l’auteur.

[10] A ce propos lire : « Marée migratoire vers l’Europe, la permanence de coefficients élevés », 2015, http://blog-conte.blogspot.com/2015/08/maree-migratoire-vers-leurope-la_25.html , « Migrants et réfugiés africains en Europe », conférence, 2015, http://blog-conte.blogspot.com/2015/11/conference-migrants-et-refugies.html et « Réfugié ou migrant ? », http://blog-conte.blogspot.com/2015/09/refugie-ou-migrant.html

[16] Il s’agit des dépenses de santé mesurées par la dépense courante de santé au sens international (DCSi).

[19] Par exemple, en Côte d’Ivoire la guerre civile des années 2000 s’est déroulée dans un contexte de crise économique où environ 30% de la population était immigrée.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire