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jeudi 4 octobre 2012

Syndicalisme et culture ouvrière (texte)

Le texte de l'intervention de Catherine Allemandou

Syndicalisme et culture ouvrière

Deux constats s’imposent lorsqu’on évoque le syndicalisme en France :

• en premier lieu la faiblesse de l’engagement syndical des salariés en France avec un taux de syndicalisation de 8% (dernier chiffre connu en 2008),

• et parallèlement le déploiement de mouvements sociaux dans la période récente, notamment en 1995, 2003, 2009 et 2010, se traduisant par de puissantes manifestations mais n’aboutissant pas à des décisions politiques prenant en compte l’essentiel des revendications exprimées.

On peut dès lors s’interroger sur l’efficacité des syndicats et se poser la question de leur utilité ?

Dans un premier point, j’explorerais les caractéristiques actuelles du syndicalisme français, autour de deux axes :

• La faiblesse du taux de syndicalisation, et

• La division des organisations syndicales se réclamant de courants idéologiques différents, ce qui entraîne des divergences dans les stratégies d’action.


L’objet de ma seconde partie sera de tenter de répondre, à la lumière des éléments développés en amont, à la question de l’utilité des syndicats : en quoi sont-ils ou non utiles et comment faire pour améliorer leur efficacité ?


I. Les caractéristiques actuelles du syndicalisme français


A. La faiblesse numérique des syndicats

Les statistiques publiées par le Ministère du Travail en 2008 indiquent que sur les 8% de syndiqués :

• 5% d’entre eux l’étaient dans le secteur privé

• 15% dans le secteur public.

Au milieu des années 1970, le taux de syndicalisation était de 20 à 25%. Il y a donc eu un net déclin de la syndicalisation.

Ce déclin est-il propre à la France ou l’observe-t-on dans les autres pays européens ?

Les chiffres 2008 de l’observatoire européen des relations industrielles relèvent d’importantes disparités dans le taux de syndicalisation :

• La Belgique et les pays scandinaves ont des taux de syndicalisation supérieurs à 70%

• L’Autriche, le Luxembourg, l’Irlande, l’Italie, Chypre, Malte, la Roumanie et la Slovénie se situent entre 30 et 60%

• L’Allemagne, la Grèce, les Pays Bas, le Portugal, le Royaume-Uni, la Bulgarie, la République Tchèque, la Hongrie se situent entre 20 et 29%

• L’Espagne, la Lettonie, la Pologne et la Slovaquie entre 10 et 19%

• Enfin en dernière position avec un taux inférieur à 10% : la France, l’Estonie et la Lituanie.



Il convient bien sûr de replacer ces chiffres dans le contexte de l’histoire sociale, politique et économique de chacun de ces pays. Néanmoins, Jean-Marie PERNOT, auteur de « Syndicats, lendemain de crise », apporte quelques éclairages :

• Dans les pays nordiques, ainsi qu’en Belgique, la syndicalisation dans les entreprises peut être favorisée par un certain nombre de pratiques :

 Adhésion automatique des salariés dans les entreprises couvertes par une convention collective

 Prélèvement à la source de la cotisation par l’employeur

 Gestion par les syndicats du système d’assurance chômage (sauf en Norvège) et de la formation professionnelle

 En Belgique, 87% des chômeurs sont syndiqués, représentant 20% de l’effectif des syndicats.

o Cependant, ces pays connaissent une certaine baisse de leur taux de syndicalisation depuis 1993, liée aux évolutions socio-économiques :

 Développement des CDD

 Désaffection sensible des jeunes à l’engagement syndical.

o Pour autant, le taux de syndicalisation reste important, avec une féminisation accrue et majoritaire dans les syndicats.

• Au Royaume-Uni, le taux de syndicalisation a décliné très fortement : en 1979, la moitié de la population active était syndiquée, avec une implantation syndicale majoritaire dans le public : 59%, contre 16,1% dans le secteur privé.

• Le syndicalisme allemand est lui aussi en perte de vitesse, avec un affaiblissement de 13% des effectifs d’une des plus grandes centrales syndicales : le D.G.GB.

• En Italie, le taux de syndicalisation reste important, mais il est à pondérer par le poids des retraités syndiqués, qui représentent la moitié des effectifs. L’implantation dans le secteur privé diminue régulièrement depuis 20 ans.

• L’Espagne a un faible niveau de syndicalisation, néanmoins en augmentation, avec de fortes disparités entre les différentes provinces autonomes.



B. Des organisations syndicales divisées, aux références idéologiques diverses

Un panorama historique permet d’éclairer cette caractéristique du syndicalisme français :

• Sous l’Ancien Régime, les premières formes d’organisation ouvrière étaient :

o Les corporations, regroupements par métier reconnus par l’autorité royale, fortement hiérarchisé, sous la protection du maître patron

o Et les compagnonnages, regroupements de plusieurs métiers, itinérants, non autorisés, à forte connotation religieuse.

• Pendant la Révolution en 1791, le décret d’Allarde interdit les corporations, et la loi Le Chapelier interdit à son tour les coalitions. Les Révolutionnaires voulaient ainsi substituer une société d’hommes libres et égaux à un monde de corps et de privilèges. Malgré cela, des sociétés de secours et d’entraides créées par les ouvriers perdurèrent, servant souvent de base à des actions de grève et de résistance.

• En 1864, le mouvement ouvrier français essentiellement constitué d’ouvriers qualifiés des villes s’organise dans les chambres syndicales. Fortement influencé par les thèses de Proudhon, il participe à la fondation de l’association internationale des travailleurs en 1864, au cours de laquelle Marx élabore une résolution sur les syndicats, leur assignant :

o A la fois un objectif de lutte immédiate pour défendre les ouvriers contre le capital

o Mais aussi un objectif de lutte pour abolir le système du salariat.

• Cette même année en 1864, la loi reconnait l’usage de la grève.

• En 1884, 20 ans plus tard, la loi Waldeck Rousseau autorise la création des syndicats, sauf pour les fonctionnaires (droit reconnu en 1924.)

• En 1836 à Lyon, se crée une fédération nationale des syndicats, qui marque la naissance du syndicalisme confédéré.

• Parallèlement, plusieurs municipalités facilitent la création de Bourses du Travail (dont Bordeaux), locaux mis à disposition des syndicats remplissant les fonctions d’aide à la recherche du travail, de gestion de mutuelles et de coopératives, et d’aide aux travailleurs itinérants.

• En 1895, au congrès de limoges est créée la première organisation syndicale ouvrière, la CGT. Plusieurs courants la traversent :

o Un courant anarchiste issu de la Fédération nationales des Bourses du Travail incarné par Fernand Pelloutier : place centrale accordée aux syndicats dans l’émancipation des travailleurs au moyen de la grève générale, indépendance absolue du syndicat vis-à-vis des partis politiques

o Un courant influencé par Jules Guesde : syndicat subordonnée au parti

o Un courant modéré inspiré par Jean Barberet, journaliste proche de Gambetta

• En 1906, la Charte d’Amiens sur une base de lutte des classes, préconise la stratégie de la grève générale, affirme l’indépendance du syndicat par rapport aux partis politiques et la nécessité d’allier revendications immédiates visant le mieux-être des travailleurs et la lutte contre le capitalisme.

• Différents syndicats sont ensuite apparus :

o La CFTC en 1919, issue des théories sociales de l’encyclique Rerum Novarum

o La CGTU en 1921, suite à la 1ère scission au sein de la CGT due aux tensions crées par la guerre, avec exclusion des syndicalistes révolutionnaires et communistes.

o Puis retour unitaire au sein de la CGT en 1936, année qui verra la victoire du Front Populaire ainsi qu’une puissante grève générale aboutir aux accords de Matignon accordant :

 Augmentation des salaires

 Congés payés

 Lois sur les conventions collectives

 Instauration des délégués du personnel

o En 1939 : exclusion des communistes de la CGT lors de la signature du pacte germano soviétique.

o 1940 : tous les syndicats sont interdits par le régime de vichy

o 1943 : réunification de la CGT dans la clandestinité

o 1944 : naissance de la CGC

o 1947 : nouvelle scission au sein de la CGT aboutissant au départ de la tendance FO

o 1948 : création de la CGT FO, de la FEN autonome.

o 1964 : création de la CFTC à la suite d’une scission au sein de la CFTC

o 1989 : les syndicats de postiers et de personnel de santé, exclus de la CFDT créent SUD (solidaires, unitaires, démocratiques) PTT et sud santé sociaux.

o 1993 : création de la Fédération Syndicale Unitaire (FSU) à la suite de l’exclusion du Syndicat National de l’Enseignement Secondaire et du Syndicat National de l’Enseignement Professionnel de la Fédération de l’Education Nationale.

o 2000 : la FEN se transforme en Union Nationale des Syndicats Autonomes – Education

o 2004 : naissance de l’Union Syndicale Solidaire ‘ex Groupe des Dix).

Issues de différentes scissions et de crises, traversées par des courants idéologiques à la fois laïcs, socialistes, révolutionnaires, ou issus du syndicalisme chrétien, les organisations syndicales ont des stratégies influencées parfois de façon contradictoire par les courants idéologiques auxquels elles se rattachent, tout en s’inscrivant dans les évolutions sociétales.


• Les organisations représentatives :

La CGT s’est longtemps définie comme un syndicat de classe et de masse, d’où l’accusation d’être une « courroie de transmission du PC » avec qui elle a pris ses distances en 1978. Elle défend l’idée d’un syndicalisme conjuguant réformes progressistes et défense des acquis, ses références à la lutte des classes semblant moins présentes actuellement. La recherche de l’unité d’action est son axe stratégique principal, menée essentiellement avec la CFDT. Sa présence dans les mouvements sociaux récents fut prégnante.

Elle arrive en 1ère position :

• aux élections prud’homales de 2003, où elle recueille 34% des sièges (taux de participation : 25,5% des salariés)

• aux élections aux CE où elle obtient 22,9% des voix en 2006 (taux de participation : 63,8%)

• dans la fonction publique territoriale : 32,8% des voix.

Elle arrive en 3ème position dans la fonction publique d’Etat où elle obtient 15,82% des voix en 2011.


La CFDT : après s’être réclamée du socialisme autogestionnaire, elle prône le recentrage, puis se prononce pour « une démarche résolument réformatrice », par des mécanismes de régulation. En 2003, elle signe une négociation séparée sur les retraites. Elle s’inscrit dans la démarche d’unité d’action à l’initiative de la CGT.

Elle arrive en 2ème positions aux élections prud’homales avec 21,81% des sièges, aux élections aux CE avec 20,3% des voix, et dans la FPT : 21,6%. En 4ème position dans la FPE (14,56%)


FO : longtemps hostile à la CGT et au PC, elle prône la négociation plutôt que l’affrontement, et se veut indépendante de tout parti politique. En 2010, lors du conflit des retraites, elle se prononce pour une grève générale.

Arrive en 1ère position dans la FPE (16,61%), en 3ème position dans la FPT (18,6%), en 3ème position aux élections prud’homales (15,81%). A obtenu 12,7% aux élections CE.


La CFTC : joue un rôle actif dans la gestion de la CNAF, appuie Solidarnosc en 1980, prend une part active dans la lutte pour la défense de l’école privée en 1983.

Arrive en 4ème position aux élections prud’homales (8,69%) et CE (6,8%), en 8ème position dans la FPE (3,87%).

La Confédération française de l’encadrement – Confédération Générale des Cadres : d’inspiration catholique et libérale, son slogan est : « nouveau syndicalisme, constructif, régulationniste ». En 1981, avait manifesté contre l’entrée des ministres communistes au gouvernement. Refuse les accords majoritaires au niveau national. A obtenu 6,20% dans la FPE, 8,19% aux élections prud’homales (5ème position), et 6,5% voix aux CE.



• Le syndicalisme autonome :

o L’UNSA : se réclame du réformisme, d’abord proche de la CFDT, s’en est éloignée en 2003, au moment de la signature de l’accord par la CFDT. Dans une stratégie de recherche d’alliances, elle a engagé « des pourparlers » avec la CGC, puis avec la CFDT. En 5ème position dans la FPE avec 13,98% des voix, a obtenu 6,25% des sièges aux élections prud’homales.

o La FSU : très influente dans l’Education Nationale depuis sa création, elle a participé activement aux grands mouvements sociaux depuis 1995. Recherche des alliances et décide, en 2004, d’élargir son champ à l’ensemble de la fonction publique. En 2ème position derrière FO dans la FPE (15,84%).

o L’Union Syndicale Solidaire : auparavant nommée groupe des Dix. Rassemble 10 syndicats autonomes dont les journalistes, les transports, la police, la défense nationale et plusieurs syndicats SUD. Se réclame d’un syndicalisme de lutte et récuse le réformisme. Très faible représentation aux prud’homales : 3,82%des sièges, arrive en 6ème position dans la FPE (8,62%).



• Les syndicats patronaux : trois organisations ont été reconnues représentatives :

o Le MEDEF, auparavant CNPF

o La Confédération Générale des PME, qui avait quitté la CNPF en 1968

o L’Union Professionnelle Artisanale.

Ces trois organisations, bien que concurrentes, ont une très forte tendance à se revendiquer apolitiques. Laurence Parisot, présidente du MEDEf, parle d’ »engagement patronal, d’entrepreneurs citoyens, actifs, participatifs, généreux, exemplaires ». Elle défend des idées telles que la flexibilité, la liberté entrepreneuriale, la libéralisation des licenciements économiques, tout en prônant le dialogue social et les relations contractuelles.

Il faut ajouter à ce tableau un syndicat représentant le secteur de l’économie sociale.

Aux élections prudhommales, l’union entre MEDEF, UPA, CGPME, FNSEA, UNAPL a obtenu 72,09% des sièges, le secteur de l’économie sociale a obtenu 19,05% des sièges.

De même il faut ajouter le syndicalisme agricole, les professions libérales, le syndicat de la magistrature ainsi que les syndicats étudiants, ce qui donne une idée de la fragmentation syndicale.



II. Abordons maintenant la question de l’utilité des syndicats


Tout d’abord au travers des grands mouvements sociaux de ces dernières années

• en 1995 : lors du plan Juppé, des manifestations monstres durent plusieurs mois, rappelant pour les plus vieux d’entre nous l’ampleur des manifestations de 1968, et cependant les ordonnances Juppé ont finalement été imposées.

• En 2003, malgré des mobilisations de masse très importantes contre la réforme des retraites, la CFDT signe en catimini en l’amendant le texte proposé par le gouvernement, ce qui entérine la réforme.

• En 2009, mobilisations massives contres les plans de licenciements.

• En 2010, des manifestations énormes ont lieu pendant presque 6 mois, et malgré l’unité relative du front syndical et son ampleur, la fin de la retraite à 60 ans est entérinée.

On pourrait alors penser, en terme de résultats immédiats, qu’il n’y a pas eu d’efficacité de la riposte syndicale puisque toutes les réformes sont passées. Outre l’intransigeance des gouvernements, on peut évoquer comme raisons à cet échec :

• Des différences d’appréciation dans la conduite des luttes en terme de stratégie : certains syndicats prônaient l’appel à la grève générale (ce qui n’était jamais arrivé depuis 1968) … alors qu’en même temps il est extrêmement difficile d’envisager l’opportunité et surtout la faisabilité du déclenchement d’une grève générale quand des secteurs entiers de l’économie sont encore des déserts syndicaux.

• On peut également y voir les limites de l’action syndicale sans relais politique : dans les manifestations, tous les partis de gauche étaient présents, pour autant les analyses portées sur la réforme des retraites n’étaient pas les mêmes, comme si l’unique élément fédérateur était la lutte contre N. Sarkosy.

Mais une deuxième réponse consiste à louer l’efficacité des syndicats, lors des derniers mouvements sociaux, dans :

• Leur capacité de mobilisation de masse

• La qualité du niveau d’analyses apportées (surtout de la part de la CGT)

Dès lors, peut-on en conclure que les syndicats ne sont uniquement utiles que dans leur capacité à mobiliser lors des grands mouvements sociaux ? La réponse est non, car

• L’utilité des syndicats s’apprécie dans leur présence dans les lieux de travail aux côté des salariés : défense et assistance juridique, défense des emplois, amélioration des conditions de travail.

• Les syndicats ont une fonction institutionnellement reconnue d’acteur social, participant aux mécanismes de régulation des rapports sociaux. Car il est inconcevable d’envisager une relation Etat-citoyen sans représentation intermédiaire pour le moment.

• Ils sont également un espace de solidarité et d’élaboration collective.


Mais encore faut-il que ces syndicats soient en nombre suffisant : se pose alors la question de la nécessite de la syndicalisation.

Les résultats des élections professionnelles montrent que l’audience des syndicats va au delà de leurs seuls adhérents. Cependant trop de représentants syndicaux cumulent plusieurs mandats faute de forces disponibles.


Quelles peuvent être les réticences à la syndicalisation qui expliquent ce vide ?

• Cela peut être lié à la peur des représailles dans le secteur privé essentiellement.

• La division syndicale, qui n’incite pas à l’engagement.

• La relation consumériste des salariés à la société et à l’engagement. En effet, dans l’ensemble, comme le montrent plusieurs enquêtes du Ministère du Travail, il n’y a pas d’hostilité des salariés aux syndicats, mais une relation d’extériorité : le salarié désire une présence syndicale en cas de besoin personnel, mais refuse de s’y engager.

• L’intériorisation des normes de la société libérale peut expliquer cette résistance à la syndicalisation, la société masquant de façon très perverse les processus d’exploitation et de domination : l’austérité, c’est nécessaire, on ne peut pas faire autrement.


Face à ces réticences, les syndicats doivent être capables dans une recherche d’unité, de rassembler, de convaincre et d’agir. Nous avons montré l’existence de divisions syndicales, alors sans sectarisme et sans attendre l’accord parfait, il est possible en recherchant des points de convergence de trouver des accords permettant l’action, tout en produisant dans la durée et dans la continuité des analyses et des propositions, que par exemple les coordinations ne sont pas en capacité de mener.

Après tout, l’arbitrage en dernier lieu appartient aux salariés et les syndicats ne peuvent rien faire sans eux, au risque de perdre leur légitimité représentative et de s’enfermer dans la spirale bureaucratique.

Enfin en guise de conclusion, en quoi faut-il rénover le syndicalisme ?

En capacité de mener des analyses globales, le syndicalisme butte sur la question des pratiques :

• Comment mener des actions dans des lieux de travail dispersé, éclatés, en prenant en compte le particularisme des situations de travail et des métiers ?

• Comment assurer dans ses organisations un fonctionnement démocratique ?

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