Offrir aux entreprises françaises des
« opportunités » sonnantes et trébuchantes. C’est le principal
objectif d’une politique d’aide au développement qui privilégie les
grands projets d’infrastructures plutôt que les programmes utiles aux
populations.
Tapis rouge et moiteur tropicale. Plus
engoncé qu’à son habitude, comme mijotant dans son costume sombre, sous
ces latitudes, Emmanuel Macron descend d’une rame du Sitarail, le train
de Bolloré qui relie la Côte d’Ivoire au Burkina Faso voisin.
Le trajet fut bref, du Plateau, le
quartier d’affaires d’Abidjan, à Treichville, sur l’autre rive de la
lagune. Cette excursion, en compagnie de son homologue ivoirien,
Alassane Ouattara, tenait lieu de pose de première pierre : le
président français, en marge du sommet Union Africaine-Union Européenne,
donnait, le 30 novembre dernier, le coup d’envoi d’un chantier aussi
démesuré que dispendieux : celui du métro d’Abidjan.
« La France vous a proposé une offre
financière sans précédent. Avec 1,4 milliard d’euros, c’est l’effort le
plus important que la France ait jamais réuni au démarrage d’un projet
urbain à l’étranger », plastronnait Macron. La conception, le
financement, la réalisation et l’exploitation des 40 kilomètres de la
ligne 1 du métro d’Abidjan avaient d’abord été confiés, en 2015, à un
consortium que dominaient Hyundai Rotem et Dongsan, associés aux
français Bouygues et Keolis (filiale de la SNCF).
UN GÂTEAU GARGANTUESQUE
Mais à l’automne 2017, coup de
théâtre : ces firmes sud-coréennes, qui peinaient à boucler le montage
financier, étaient éjectées au profit d’Alstom et Thalès. Entre-temps,
Paris avait mis sur la table son enveloppe de 1,4 milliard d’euros pour
« sauver », en le finançant à 100 %, le projet menacé d’enlisement.
Avec une condition : des entreprises
françaises devaient rafler seules ce gargantuesque gâteau. Satisfait de
ce marché, le président Ouattara songe déjà à la deuxième ligne de
métro ; le fardeau de la dette n’a pas l’air d’alarmer l’ancien
directeur Afrique du FMI, arrivé au pouvoir en 2011, au terme d’une
violente crise postélectorale, sur le dos d’une rébellion armée appuyée
par la force française Licorne.
Loin d’une quelconque démarche d’aide,
le plan de « soutien financier » imaginé à Paris consiste pourtant
essentiellement en des prêts souverains…
De quoi resserrer encore la tutelle
économique et politique sur la Côte d’Ivoire. « Si le pays enregistre
un taux de croissance de l’ordre de 8 % (7,7 % en 2016), (…) le besoin
en infrastructures, en couverture des besoins sociaux de base (éducation
santé) et les récentes tensions militaires et budgétaires nécessitent
un appui fort de la communauté internationale des bailleurs, au premier
rang desquels la France.
La Côte d’Ivoire est redevenue éligible
aux prêts souverains de l’AFD en décembre 2016 et continue d’être
appuyée via les contrats de désendettement et de développement »,
justifiait le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, le
10 octobre 2017.
Créés en 2001 pour matérialiser
l’engagement des pays créanciers d’annuler les dettes bilatérales des
pays ayant atteint le point d’achèvement de l’initiative « pays pauvres
très endettés » (PPTE), les contrats de désendettement et de
développement (C2D) offrent, pour Paris, une juteuse alternative à
l’annulation « sèche » des dettes, converties cash, ici, en influence
française.
Signés avec trois pays latino-américains
et quinze pays d’Afrique, les C2D sont devenus l’outil privilégié de la
politique d’aide publique au développement.
Ce dispositif, qui concerne un montant
total de dette de 5,33 milliards d’euros, repose sur un mécanisme de
refinancement par dons des échéances acquittées. En clair, Paris reverse
aux pays débiteurs les sommes qu’ils ont remboursées, en fléchant ces
fonds vers les « projets de développement » qu’elle juge les plus
profitables à ses intérêts et, surtout, à ceux des grands groupes
français.
Sans surprise, les principaux secteurs
d’intervention sont les équipements et les infrastructures (25 %), les
plus propices aux investissements français les plus rentables.
DES LOGIQUES DE GUERRE ÉCONOMIQUE
Dans un rapport publié il y a deux ans
pour tirer le bilan de ce dispositif, le Quai d’Orsay admet qu’il n’a
« pas permis de produire un effet notable sur la réduction du niveau
d’endettement des pays bénéficiaires ». Les C2D offrent en fait une
parfaite illustration des logiques de rentabilité financière et de
guerre économique qui guident désormais les politiques françaises d’aide
au développement.
Opérateur pivot de l’aide publique au
développement (APD), l’Agence française de développement (AFD), une
agence de coopération qui s’est muée en banque, revendique elle-même une
mission consistant à « ouvrir des opportunités pour les entreprises
françaises ».
Conséquence de ces orientations : la
part des dons affectés à des programmes utiles aux populations se réduit
comme peau de chagrin. « Depuis 2006, les prêts dans l’APD française
ont triplé de volume tandis que les subventions ont été divisées par
deux, délaissant ainsi le soutien aux secteurs sociaux de base (santé,
éducation, eau et assainissement, etc.) et les projets d’adaptation au
changement climatique dans les pays les plus pauvres », relevait le
sénateur Pierre Laurent, secrétaire national du PCF, dans une question
écrite à Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères, le 12
juillet.
Sur les 9,4 milliards d’euros engagés en
2016 par l’AFD, 84 % l’ont été sous forme de prêts. De quoi verrouiller
les rapports de dépendance que perpétue la dette des pays du Sud.
Des sous contre les migrants, pas pour le développement
Le projet de cadre financier
pluriannuel, le budget de l’Union européenne pour les prochaines années,
présenté par la Commission européenne, prévoit pour la première fois de
dépenser davantage d’argent pour la protection des frontières que pour
l’aide publique au développement. Pour la période 2021-2027, 30,8
milliards d’euros devraient être alloués à la sécurisation des confins
de l’Europe et à la gestion de la crise migratoire, relève le site
Euractiv.fr, contre 28,3 milliards pour l’Afrique subsaharienne.
Rosa Moussaoui
Photo: Fraternité Matin.
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