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mardi 31 mars 2015

Ludd contre Lénine

Ludd contre Lénine (le communisme des technocrates)

dimanche 29 mars 2015 par Marius Blouin


Voici la deuxième livraison de notre série sur la technocratie, classe dirigeante globale, classe de l’expertise et de la rationalité maximale à l’ère technologique du capitalisme, après Ludd contre Marx (en ligne ici : http://www.piecesetmaindoeuvre.com/...).
Six mois après son coup d’Etat, Lénine expose sa ligne économique dans la Pravda du 5 mai 1918. Il s’agit de construire « un capitalisme d’Etat industriel », sur « le modèle de l’Allemagne et des trusts », en s’appuyant sur« les spécialistes-techniciens ou organisateurs, moyennant des salaires élevés » et à l’aide de « méthodes barbares » pour « combattre la barbarie ».

Magie des mots et du langage performatif, cet Etat est réputé « soviétique » - c’est-à-dire conseilliste en français - puisque « le parti de la classe ouvrière »a pris le pouvoir. Si l’on s’en tient aux faits – têtus - comme disait Lénine, c’est le parti de la technocratie qui a pris le pouvoir, et qui exerce la pire dictature jusque-là connue, au nom de la classe ouvrière et sur la classe ouvrière. Le révolutionnaire Makhaïski a vu les faits, sur le vif, à travers les mots, lui qui dénonce l’intelligentsia exploiteuse des capitalistes du savoir : fonctionnaires, directeurs, organisateurs, bureaucrates, scientifiques, spécialistes, ingénieurs, techniciens, chimistes, agronomes, contremaîtres, cadres, comptables, gérants, etc. Les futurs apparatchiks de la nomenklatura, reconvertis plus tard en oligarques et Nouveaux Russes. Ceux qu’aux USA on nomme dès 1919 d’un mot qui vise leur trait commun et essentiel, « technocrates » et « technocratie ». Ludd avait raison, mais les léninistes ont eu raison de Ludd. Les paysans et les ouvriers russes sont broyés par la machine technocratique qui forge en vingt ans la deuxième puissance industrielle du monde.

Un siècle après, les spectres du communisme, les Négri, Badiou, Mélenchon et leurs épigones blanquistes, foucaldiens, deleuzo-guattaristes (VacarmeMultitudes, Comité « invisible », etc.), n’ont rien appris ni oublié. Néo-futurisme, néo-bolchevisme de l’avant-garde de la technocratie qui « rêve d’expansion au-delà des limites de la Terre et de notre forme corporelle immédiate ». Et qui répète : « Le socialisme est impossible sans la technique du grand capitalisme, conçue d’après le dernier mot de la science la plus moderne, sans une organisation d’Etat méthodique qui ordonne des dizaines de millions d’hommes à l’observation la plus rigoureuse d’une norme unique dans la production et la répartition des produits. Nous les marxistes, nous l’avons toujours affirmé ; quant aux gens qui ont été incapables de comprendre au moins cela (les anarchistes et une bonne partie des socialistes-révolutionnaires de gauche), il est inutile de perdre deux secondes à discuter avec eux » (Manifeste de l’Accélérationnisme, Multitudes n°56, été 2014).

Il s’agit toujours de se mettre à l’école du techno-capitalisme le plus avancé, celui de la Silicon Valley, pour « s’approprier les moyens de production et d’échange » (les NBIC, Internet, les réseaux, les fab lab, les big data, l’usine automatique). De « dépasser » le cyber-capitalisme pour lui substituer « la machine à gouverner » : le cyber-communisme des technocrates. Et comme il y a un siècle, ils sont prêts à employer des « méthodes barbares » pour« combattre la barbarie » - les réfractaires à la destruction du vieil homme et du vieux monde, de nos résidus de nature et d’humanité. À la périphérie, le ravage des conditions de vie par le développement bouleverse des peuples et des pays entiers. Le progrès dans les métropoles consiste en cela, qu’à la différence du siècle dernier ou de l’actuelle terreur islamo-fasciste, cette barbarie technologique, lisse, froide et fonctionnelle s’impose par le seul fait accompli, sur la base des défaites antérieures et sans effusions de sang salissantes.

Marius Blouin ne veut pas transformer le monde ni changer la vie. À défaut de retrouver les espèces, les peuples et les pays perdus, il voudrait plutôt la vie sauve pour les rescapés du Progrès. Un vœu d’une nostalgie aussi vaine que répréhensible, et donc cela n’a pas d’importance.
Texte téléchargeable ci-dessous (80 p.).
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lundi 30 mars 2015

Ludd contre Marx


De la technocratie

Sur la classe dirigeante à l’ère du capitalisme technologique

Voici notre première livraison d’une enquête consacrée à la technocratie, classe dirigeante globale à l’ère technologique du capitalisme planétaire unifié.

Les débuts de cette enquête remontent à décembre 2010. Nous avions publié en brochures avec Black Star (s)éditions, Une Armée de justiciers, le merveilleux chapitre consacré à la révolte des Luddites par l’historien E.P. Thomson, dans sa Formation de la classe ouvrière anglaise (ici). « Oui, nous dirent nos amis de Black Star, mais il faudrait quelque chose en plus, une petite préface, un mot de présentation… » Voici ce mot cinq ans plus tard, il a proliféré, muté en chapitres, en livres, sans arriver à sa fin. Si vous le trouvez long, plaignez-vous à Black Star, c’est de leur faute.

C’est que le sujet était aussi passionnant que méconnu. L’équivalent de la découverte d’un continent dans l’exploration sociale. La plupart des gens réduisent la technocratie à la bureaucratie, aux énarques, à ces fonctionnaires de Bruxelles qui réglementent la fabrication de nos fromages : ce n’est qu’une infime part. La technocratie se définit comme une classe consciente d’elle-même ; la classe de l’expertise et de l’efficacité, de la rationalité maximale. 

La classe centrale des sociétés technologiques avancées, en quantité et en qualité. Elle forme avec la bourgeoisie capitaliste (y compris les financiers), un alliage indissoluble dirigé contre les autres classes (paysans, ouvriers, boutiquiers, employés), qu’elle remplace d’ailleurs par des machines. A l’ère technologique, tout pouvoir doit se faire technocratique ou périr. L’Etat, l’armée, l’entreprise sont technocratiques. Le capital, public ou privé, est technocratique. La Silicon Valley, talonnée par la Chine, présente le type le plus avancé de ce capitalisme technologique et technocratique, qui extermine les espèces, les peuples, les classes, les individus réfractaires à son vampirisme.

Si les anticapitalistes de tradition progressiste, marxistes de toutes nuances, n’ont jamais consacré à la technocratie la critique due à ce fait social écrasant, c’est qu’ils en font sociologiquement partie. Ils ne peuvent pas se voir, même si cet aveuglement est intéressé. 

C’est qu’ils voient un bienfait dans l’emballement technologique. C’est que la théorie marxiste n’avait pas prévu l’avènement de la technocratie, dans sa prophétie du duel final entre l’immense prolétariat paupérisé et la minuscule ploutocratie capitaliste. (La prophétie n’est pas forcément fausse mais elle est au moins repoussée.) C’est enfin que Marx n’a vu dans la révolte luddite qu’une rage infantile – voire réactionnaire - du nouveau prolétariat industriel. Or Marx avait tort, et Ludd avait raison : première partie de notre enquête.

Marius Blouin n’est pas diplômé de Normale Sup, ni de l’EHESS. Il ne travaille ni aux Inrocks, ni à France Culture. Il ne fait partie d’aucun collectif. Il n’habite pas Montreuil ni les Cévennes, et d’ailleurs Marius Blouin n’est pas son nom, mais celui de son grand-père exclu du Parti pour avoir commis une bonne action.
Chapitre 2 : Ludd contre Lénine

***

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Ludd contre Marx
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vendredi 27 mars 2015

Commentaires sur les résultats du premier tour des élections départementales à Talence

Commentaires sur les résultats du premier tour des élections départementales à Talence




Le 22 mars 2015, s’est déroulé le premier tour des élections départementales, les premières après la « réformette » des collectivités locales. Du fait de ladite réforme le canton de Talence qui auparavant coïncidait parfaitement avec le périmètre de la ville a étendu son emprise sur une partie de Bègles.

Pour les besoins de l’analyse comparative avec les résultats de l’élection cantonale de 2011, il convient de raisonner à périmètre constant. Ainsi, seront pris en compte les résultats de 2015 concernant strictement la ville de Talence, c’est-à-dire l’ancien canton. Certes, il y a des différences entre le contexte de l’élection de 2011 et de celle de 2015, mais il n’en demeure pas moins que la comparaison peut être riche d’enseignements.

La participation
En 2015, le nombre d’inscrits sur les listes électorales était de 21 511, en progression de 1 162 électeurs par rapport à 2011, soit + 5,71%. Le nombre de votants a connu une forte progression de 2 571 unités c’est-à-dire près de 32%. De ce fait le taux d’abstention s’est trouvé réduit de près de 10 points (-9,82) par rapport au scrutin de 2011.

On peut penser que la progression du taux de participation émane d’un regain d’intérêt des électeurs souhaitant s’exprimer dans un contexte de crise économique et sociale profonde. De même, la plus grande diversité de l’offre des candidatures en 2015 – 7 contre 4 en 2011 - peut avoir eu un effet mobilisateur sur l’électorat.

La participation aux premiers tours en 2011 et en 2015
Scrutins 1er tour
2011
2015
2015/2011
2015/2011 (%)
Nombre d'inscrits
20 349
21 511
1 162
5,71%
Nombre de votants
8 053
10 624
2 571
31,93%
Abstention
12 296
10 887
-1 409
-11,46%
Abstention (%)
60,43%
50,61%
-9,82

Blancs et nuls
219
300
81
36,99%
Exprimés
7 834
10 324
2 490
31,78%

Les résultats
Les grandes tendances en 2015 sont :
-         La première place de l’Union de la Droite (UD - Cazabonne)
-         Les contreperformances du Parti Socialiste (PS - Dellu) et d’Europe Écologie – Les Verts (EE-LV- De Marco)
-         La montée du Front National (FN - Camelli).
Ces tendances apparaissent globalement conformes à ce que l’on observe ailleurs en France.

Dans le détail entre 2011 et 2015 :
-         La droite gagne 1 259 voix, en augmentation de 52,92%
-         Le PS perd 698 voix, soit une baisse de 20,68%
-         EE-LV perd 157 voix, en réduction de 11,17%
-         L’ « extrême gauche » (FdG) perd 16 voix, en légère baisse de 2,37%.

Résultats 2011 et 2015 comparés
Candidats
2015
%
Candidats
2011
%
2015/2011
(voix)
2015/2011
(%)
UD
Cazabonne
3638
35,24%
Modem
Sebton
2379
30,37%
1259
52,92%
PS
Dellu
2678
25,94%
PS
Savary
3376
43,09%
-698
-20,68%
FN
Camelli
1275
12,35%





EELV
De Marco
1248
12,09%
EELV
Guérin
1405
17,93%
-157
-11,17%
FdG
Kraria
658
6,37%
EG
Conte
674
8,60%
-16
-2,37%
DVG
Delgado
481
4,66%





DVG
Agius
346
3,35%













-

La simulation
Nous avons établi un scénario dans lequel on calcule les scores qu’auraient pu obtenir les candidats en 2015 si leurs résultats de 2011 en pourcentage avaient été renouvelés.

Scores estimés en 2015 sur la base des résultats obtenus en 2011
2011
2011
2015 estimé
2015 réalisé
Gain
Gain (%)
U-Droite
2 379
30,37%
3 135
3 639
504
16,06%
PS
3 376
43,49%
4 490
2 678
-1 812
-40,36%
EELV
1 405
17,93%
1 851
1 248
-603
-32,58%
FdG
674
8,60%
888
658
-230
-25,89%

Selon ce scénario, il apparaît que seule la droite surperforme avec un gain de 16% par rapport aux estimations. La gauche, dans son ensemble, est perdante. Le PS perd 40,36% de ses électeurs potentiels, EE-LV 32,58% et le FdG sous-performe de 25,89%.

La droite (UD) recueille plus de voix que prévu, cela peut s’expliquer par le fait qu’elle ne détient pas (ou plus) le pouvoir tant au niveau national que régional (Aquitaine) ou départemental (Gironde) et, de ce fait, une partie des électeurs souhaite renverser le sablier ou changer de bonnet blanc.

La « gauche » au pouvoir ou très proche de lui (PS et EE-LV) enregistre une érosion considérable entérinant sans doute l’échec des politiques menées pa²r le gouvernement socialiste et le fait pour EE-LV qu’on ne peut avoir à la fois « un pied dedans et un pied dehors ». Concernant le parti écologiste, il convient aussi de se remémorer que le (très) bon score obtenu lors du premier tour des élections cantonales le 20 mars 2011 (17,93% des voix) s’explique, dans une certaine mesure, par les circonstances exceptionnelles : la catastrophe nucléaire de Fukushima ayant eu lieu le 11 mars 2011, soit à peine quelques jours avant le scrutin. Le battage médiatique autour de ladite catastrophe avait, sans doute, grandement servi les partisans de la sortie du nucléaire.

Le Front de Gauche subit aussi un revers qui devrait l’amener à s’interroger sur son programme alternatif. De plus, l’argumentation de ses consignes de vote pour le second tour peut générer de la confusion chez les électeurs. Selon le postulat du FdG, l’austérité de gauche serait moins rigoureuse que celle de droite. De plus, le slogan : « il faut faire barrage à la droite ‘normale’ ou extrême » risque de provoquer l’amalgame pour les électeurs qui diront : « le FdG c’est comme les « frondeurs » du PS, des critiques, des reproches, des cris, des vociférations… puis, tout compte fait, on rentre dans le rang ».

Concernant la « gauche élargie », les élections révèlent son manque de souplesse car elle a toutes les difficultés à faire le grand écart entre le néolibéralisme socialiste,  l’écologie impérative et trotskisme déguisé. Or, la division est porteuse d’échec.

Enfin, pour l’ensemble de la classe politique, il serait peut-être temps de considérer les électeurs comme des adultes, responsables et capables de discernement. A défaut, l’abstention et le vote extrémiste ont de beaux jours devant eux.

Bernard Conte